En 1985 se déroule à Buenos Aires le procès historique des neuf militaires responsables de la junte militaire argentine. Réalisé à partir d'archives et d'images du procès, ce documentaire évoque avant tout la sinistre école militaire de la marine (Esma), une prison très spéciale où près de 5 000 personnes furent détenues arbitrairement entre 1976 et 1983.
Réalisation: Walter Goobar
L'Esma fut pendant sept ans, de 1976 à 1983, le plus terrible camp de détention illégale de tout le pays. Au cours du procès historique des responsables de la junte militaire, qui eut lieu à Buenos Aires en 1985 et dont les images sont restées longtemps interdites, les témoins évoquent ce lieu sinistre où furent incarcérées, torturées et assassinées près de 5 000 personnes. Rares sont celles qui en sont sorties vivantes. Dans la salle du tribunal, à quelques mètres de leurs tortionnaires, les survivants se souviennent de leur enlèvement par des commandos militaires (en général de nuit, les visages masqués), des séances de torture, des "vols de la mort" au cours desquels des détenus drogués étaient jetés vivants dans le Rio de la Plata... Un survivant affirme avoir entendu parler des "religieuses volantes", sans doute les soeurs françaises Alice Domon et Léonie Duquet, portées "disparues". Dans ces entretiens filmés sans effet de mise en scène, tous évoquent la même horreur. Morceaux de vie arrachés à l'oubli, les mots résonnent d'une force singulière.
Responsable mais non coupable
Ce qui s'est passé à l'Esma n'était pas un cas isolé. En 1978, tandis que le pays accueille la Coupe du monde de football (une reconnaissance internationale dont les militaires argentins surent tirer profit), des milliers de personnes "disparaissent" en Argentine. Selon les organisations de défense des droits de l'homme, la répression aurait fait plus de 30 000 victimes. Mais comment savoir vraiment ? Les militaires ont toujours refusé de reconnaître les "disparitions".
Assis sur le banc des accusés, Emilio Eduardo Massera reste imperturbable à l'évocation de toutes les atrocités commises sous sa haute responsabilité dans l'enceinte de l'Esma. Parfois, un tic nerveux pince très légèrement ses lèvres. Bien à l'abri sous son uniforme d'amiral, il écoute les lourds témoignages qui viennent l'accabler. Puis il se lève et s'approche. Un juge lui demande ce qu'il a à répondre aux accusations. D'une voix forte, il répond : "Je ne suis pas venu me défendre. Personne n'a à se défendre d'avoir gagné une guerre juste. Car la guerre contre le terrorisme subversif fut une guerre juste ! Nous étions convaincus de défendre la nation." Puis il ajoute un peu plus tard, avec arrogance : "Je me sens responsable mais pas coupable. Je ne suis pas coupable !" Jamais, au cours du procès, cet homme n'exprime le moindre regret vis-à-vis de ses victimes. Derrière lui, la caméra découvre le visage du général Jorge Rafael Videla, chef de la junte militaire. Comble de cynisme, Massera ajoute : "Je n'ai pas de haine pour mes ennemis, j'ai pardonné." Dans la salle glaciale du tribunal plane l'ombre de milliers de morts, torturés et disparus. Condamnés à perpétuité, et après avoir purgé cinq ans seulement de leur peine, les tortionnaires argentins ont tous bénéficié de l'indulto, la loi d'amnistie politique promulguée en 1990 par Menem au nom de la réconciliation nationale...
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